La liberté de la presse en RDC et la défaillance du CSAC dans sa mission régulatrice de la production médiatique

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 I. INTRODUCTION

Instaurée par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1993 après la tenue du Séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste, la liberté de la presse est célébrée le 3 mai de chaque année.

Ce séminaire s’est déroulé à Windhoek (Namibie) en 1991, et a conduit à l’adoption de la Déclaration de Windhoek sur la promotion de médias indépendants et pluraliste. Laquelle déclaration exigeait l’établissement, le maintien et la promotion d’une presse pluraliste, libre et indépendante et mettait l’accent sur l’importance d’une presse libre pour le développement et la préservation de la démocratie au sein d’un État, ainsi que pour le développement économique.

 Rappelons que la liberté de la presse suppose un certain nombre de postulats :

– La liberté d’entreprendre,

– La liberté de dire, d’écrire, de montrer,

– La liberté de recevoir,

– Le droit de ne pas être inquiété ni menacé dans son intégrité physique ou morale dans l’exercice de ses fonctions journalistiques.

Étant l’une des composantes de la liberté d’expression, la liberté de la presse est généralement considérée comme une condition nécessaire pour l’exercice de toutes les autres libertés. Il s’agit, comme disait MIRABEAU de «la liberté sans laquelle aucune des autres libertés ne peut être conquise »

Concernant son cadre juridique, la liberté de la presse est prévue aussi bien par les instruments juridiques à caractère supranational que national.

Si internationalement les sources de la liberté de la presse sont principalement : la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (article 19), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 19), la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que la Charte de Munich. Au plan national par contre, cette source est constituée notamment de la Constitution du 19 février 2006 et de la Loi n°96-002 du 22 juin 1996 fixant les modalités d’exercice de la liberté de la presse en RDC.

Concrètement, l’article 23 de la Constitution consacre la liberté de la presse en ces termes :

« toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit implique la liberté d’exprimer ses opinions ou ses convictions, notamment par la parole, l’écrit et l’image, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public et des bonnes mœurs».

Et c’est l’article 8 de Loi du 22 juin 1996 précitée qui définit cette liberté de la presse comme : « le droit d’informer, d’être informé, d’avoir ses opinions, ses sentiments et de les communiquer sans aucune entrave, quel que soit le support utilisé, sous réserve du respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs »

Fort de cette législation, certains organes et professionnels de médias aussi bien publics que privés semblent confondre la liberté de la presse avec le libertinage dans ce secteur. Pourtant, la liberté de la presse ne peut s’exercer qu’au respect de la loi, de l’ordre public, des droits d’autrui et des bonnes mœurs, ce qui est loin d’être le cas dans le chef de certains organes voire professionnels de médias qui exercent la profession du journaliste au mépris de l’éthique et déontologie et ce, au vu des émissions et programmes qui sont produits ou diffusés à longueur des journées. Nous estimons donc que cela est dû suite notamment à l’œil impuissant des organes de régulation attitrés en la matière dont principalement le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication, CSAC en sigle. Examinons cette défaillance dans les lignes qui suivent.

 II. LA DÉFAILLANCE DU CSAC DANS SA MISSION RÉGULATRICE DE LA PRODUCTION MÉDIATIQUE.

Depuis que le vent de la démocratie a soufflé en République Démocratique du Congo, une nouvelle dynamique des médias congolais caractérisée par une floraison de titres de journaux et une ouverture de l’espace audiovisuel aux initiatives privées a vu le jour.

À ce jour,  cette dynamique a pris des proportions inédites au point de provoquer la prolifération des médias, au mépris, aussi bien de la qualification des professionnels du secteur que de

la qualité de l’information produite ou des programmes diffusés.

Aux fins de remédier aux différents maux dont souffre ce secteur d’audiovisuel, le constituant congolais a institué le CSAC.

Étant l’organe spécialisé destiné à réguler les médias, lesquels sont considérés comme étant outils indispensables dans l’édification d’un Etat de droit, le CSAC est l’une des institutions d’appui à la démocratie prévue à l’article 212 de la Constitution congolaise du 18 février 2006 telle que modifiée à ce jour.

Autrement-dit, institution voulue indépendante du Gouvernement et dotée de la personnalité juridique, le CSAC est un autre acteur incontournable dans la protection, la promotion et la défense de la liberté de presse. Mais la défaillance de cet organe est patente en ce qui concerne sa mission de régulation de l’exercice de la liberté de la presse par les entreprises de médias.

Pourtant, de la lecture combinée de la Loi-organique n°11/001 du 10 janvier 2011 portant composition, attribution et fonctionnement du CSAC et de son Règlement Intérieur, il est notamment reconnu à cet organe la mission sinon l’attribution de :

– veiller au respect de la déontologie en matière d’information (article 8);

– veiller à la conformité, à l’éthique, aux lois et règlements de la République, des productions des radios, des télévisions, du cinéma, de la presse écrite et des médias en ligne (article 9).

Précisons que la régulation dont question ici s’exerce (disciplinairement) sur des contenus diffusés par les organes de médias tandis que le règlement et les infrastructures demeurent du domaine du Gouvernement. Bien plus, le champ d’intervention du CSAC ne vise que les organes ou entreprises des médias (personnes morales) et non les professionnels de ce secteur (journalistes personnes physiques), sauf en cas de faits infractionnels commis par ces derniers. Dans ce cas, ces faits sont rapportés devant le juge compétent par le CSAC.

Comme pour dire, les journalistes (en tant que personnes physiques) ont convenu de créer un autre organe fédérateur chargé de l’autorégulation de leur profession dénommé «Union Nationale de la Presse du Congo» UNPC en sigle. Puis un organe de suivi, dénommé l’«Observatoire des Médias Congolais » OMC en sigle.

Bref, aux côtés des mécanismes institutionnels mis en place par le législateur (dont le CSAC), il existe deux organes privés d’autorégulation dont l’un est fédérateur (UNPC) et l’autre de suivi (OMC), lesquels sont crées par les journalistes eux-mêmes pour protéger et promouvoir la liberté de la presse. Fort malheureusement, le constat c’est que même ces organes privés peinent à encadrer effectivement l’exercice de la liberté de la presse. Ils veillent plus aux droits leur reconnus plutôt qu’à leurs obligations.

Le CSAC en tant qu’organe institutionnel chargé de réguler l’exercice de la liberté de la presse par les entreprises médiatiqus, il est composé de plusieurs organes en son seins parmi lesquels le Bureau. Ce dernier dispose des trois services techniques dont le Centre de monitoring des médias congolais.

Fort de son personnel administratif et technique, le Centre de monitoring des médias congolais est chargé de l’observation, de l’écoute, du visionnage et de l’analyse du contenu publié et diffusé par les médias s’il est conforme à la Loi, à l’ordre public, aux droits d’autrui et aux bonnes moeurs (article 45 la Loi-organique précitée). C’est à se demander si ce service fait réellement son travail car, point n’est besoin d’inventorier les égarements dans la diffusion des émissions et programmes par les organes de médias.

Par ailleurs, la Loi-organique sur le CSAC souligne que ce dernier est saisi par toute personne morale ou physique d’une plainte à charge de toute entreprise ou organe des médias dont le professionnel viole les règles d’éthique et de déontologie journalistique en matière d’information. La même Loi-organique va plus loin pour reconnaître au CSAC la possibilité de se saisir d’office en cas de constatation flagrante des règles d’éthique et de déontologie journalistique en matière d’information (article 57). Malgré ce pouvoir exorbitant, le travail du CSAC peine à trouver écho favorable dans l’efficacité de la sanction disciplinaire ni dans la prise des mesures conservatoires (article 63) encore moins dans la mise en demeure de sept jours à l’égard du contrevenant (article 60).

S’agissant de sanctions disciplinaires, le CSAC peut :

1. infliger des sanctions administratives aux entreprises de médias en rapport avec les violations des règles d’éthique et de déontologie ;

2. requérir la saisie des documents, films, vidéocassettes ou tout autre support se rapportant aux médias ;

3. suspendre une station de radiodiffusion et de télévision ou un organe de presse écrite pour une période n’excédant pas trois mois ;

4. décider de la suspension ou de la suppression d’une émission, d’un programme, d’une chaîne de télévision ou d’une station de radio publique ou privée ou d’une rubrique d’un organe de presse ;

5. requérir auprès des juridictions compétentes le retrait provisoire ou définitif de la fréquence attribuée.

En dépit de ce pouvoir disciplinaire, il va sans dire que le CSAC sanctionne difficilement les organes de médias alors que les égarements dans l’exercice de la liberté de la presse par ces derniers sont quotidiens dans notre pays.

Bien que la responsabilité du Pouvoir judiciaire soit aussi établie dans la défaillance de la répression des organes de médias qui confondent la liberté de la presse avec le libertinage, pour les infractions en matière d’audiovisuel, la Loi-organique supra évoquée (article 68) précise qu’il revient au CSAC de requérir le concours du Ministère public pour constater toute infraction en matière de l’audiovisuel, de la presse écrite et des médias en ligne.

 III. CONCLUSION

La liberté de la presse est consacrée par les instruments juridiques d’origine internationale et nationale. Fort de ce cadre juridique, certains organes de médias parviennent à exercer la profession du journaliste au mépris des règles déontologiques professionnelles dans la diffusion des émissions et programmes et ce, sous l’impuissance du CSAC qui est une institution d’appui à la démocratie destinée non seulement d’assurer la protection, la promotion et la défense de la liberté de presse, mais aussi et surtout réguler l’espace médiatique congolais et ce, en dépit des pouvoirs exorbitants dévolus à cet organe institutionnel.

En termes de recommandations, le Gouvernement de la République doit viser sur l’efficacité du CSAC en disponibilisant notamment des moyens financiers conséquents pour son fonctionnement harmonieux et régulier.

De même, il est impérieux de faire du CSAC un acteur indépendant du politique. Cette dépolitisation passe par la modification de la Loi-organique susvisée qui, en son article 24 énumère les quinze membres qui composent le CSAC parmi lesquels les délégués des institutions hautement politiques, à l’instar du Président de la République, l’Assemblée nationale, le Sénat et le Gouvernement.

Il est donc urgent que cet Organe destiné à réguler les médias soit composé principalement des membres des associations des professionnels des médias, à raison d’un membre pour chaque secteur d’activité, à savoir : la radiodiffusion sonore, la télévision, et la presse écrite. La désignation de ces membres pourrait tenir compte non seulement de la moralité mais surtout de l’expertise en la matière.

En matière répressive, le Ministère public est appelé à plus de dynamisme dans la recherche des infractions en matière d’audiovisuel, accomplir tous les actes d’instruction et éventuellement saisir des

Cours et tribunaux. Il ne doit pas seulement attendre la réquisition du CSAC et ce, conformément à l’article 67 de la Loi-organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire et aux articles 64 et 68 de la Loi-organique n°11/001 du 10 janvier 2011 portant composition, attribution et fonctionnement du CSAC.

C’est en pensant à cela que l’absence d’une autorité indépendante et efficace de régulation des médias soit rapidement comblée tant bien que mal puisqu’elle représente une faiblesse regrettable pour la régulation des médias à ce jour.

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