Le 8 mars est une journée internationale de la lutte des droits de la femme et, pour commémorer cette journée, le groupe Règles justes, Bonne application, État de droit, invite toutes les femmes congolaises et toutes les associations de défenses des droits de la femme congolaise à agir avec lui pour parfaire la législation congolaise existante sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes.
D’après les observations finales du 8ème rapport périodique de la Commission des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes du 6 aout 2019 sur la situation en République démocratique du Congo, la législation congolaise est perfectible à bien des égards.
Pour cette année 2020, première année de l’alternance politique, la démarche de sensibilisation du groupe Règles justes, Bonne application, État de droit se focalisera sur un seul point relevé par la Commission : l’effectivité de la participation de la femme congolaise à la vie publique et politique.
Sur ce point, dans ses observations, la Commission prend acte de l’adoption de la loi n° 15/013 du 1er aout 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité. Néanmoins, elle est préoccupée par l’ineffectivité de cette loi et elle observe une faible participation des femmes congolaises à la vie publique et politique même si elle constate avec satisfaction que le Parlement congolais est dirigé par une femme.
Pour information, la loi n° 15/013 du 1er aout 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité est une mesure prise en application des dispositions de l’article 14 de la Constitution introduite lors de la révision constitutionnelle de 2011. Ces dispositions consacrent le principe de la parité homme — femmes en République démocratique du Congo en ces termes :
« Les pouvoirs publics veillent à l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard de la femme et assurent la protection et la promotion de ses droits.
Ils prennent dans tous les domaines, notamment dans les domaines civil, politique, économique, social, et culturel, toutes les mesures appropriées pour assurer un total épanouissement et la participation de la femme au développement de la nation.
L’État garantit la mise en œuvre de la parité homme — femme dans lesdites institutions.
La loi fixe les modalités d’application de ces droits »
L’introduction des dispositions de l’article 14 dans la Constitution répond à l’exigence de l’État congolais de respecter ses engagements pris lorsqu’il a ratifié les instruments juridiques internationaux suivants :
– La Convention sur les droits politiques de la Femme adoptée à New York le 31 mars 1953 et ratifiée le 15 octobre 1962.
- La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard de la femme (CEDEF) adoptée le 18 décembre 1979 et ratifiée le 17 octobre 1986 ainsi que son protocole facultatif.
- Le Protocole de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples adopté le 11 juillet 2003 et ratifié le 09 aout 2008.
- Le Protocole de la SADC sur le Genre et le Développement adopté le 17 aout 2008 et ratifié en 2010.
Pour pallier à l’absence de parité dans les faits malgré l’existence d’une loi d’application du principe constitutionnel, la Commission recommande à l’État congolais d’accélérer l’instauration de la représentation égale entre homme et femme dans tous les domaines de la vie politique qu’il s’agisse des fonctions électives (nationales, provinciales, locales) et nominatives (gouvernement, organes exécutifs et judiciaires, Armée, Police) par la prise de mesures spéciales qui ne devraient être considérées comme discriminatoires conformément aux dispositions de l’article 4 de la Convention pour l’élimination des discriminations contre les femmes
Elle recommande aussi l’élaboration de programme nationale de formation des femmes en vue de renforcer leurs capacités dans le domaine de la vie politique.
La première recommandation est en somme un encouragement à instaurer une discrimination positive dans le domaine de la vie politique. Or, avant la promulgation de la loi n° 15/013 du 1er aout 2015, toutes les dispositions ayant trait à une discrimination positive par le biais d’un quota obligatoire des femmes qu’elle contenait avaient été écartées en exécution d’une décision de la Cour constitutionnelle du 24 janvier 2014 alors qu’elle avait été pourtant votée par le parlement.
Cette décision a été rendue sur saisine du Président de la République en vue d’un contrôle de constitutionnalité.
La Cour constitutionnelle a considéré que le quota obligatoire des femmes était contraire aux articles 12 et 13 de la Constitution qui consacrent respectivement le principe de l’égalité de tous et le principe de l’élimination de toutes sortes de discriminations notamment en matière d’accès à la fonction publique.
Le retrait des dispositions ayant trait à la discrimination positive de la loi votée par le parlement a eu pour effet de lui enlever toute son efficacité. Les articles 4 à 5 relatives à la mise en œuvre de la représentation au sein des institutions nationales, provinciales et locales rédigées sur le même ton que les instruments juridiques internationaux ne donnent aucun élément concret de mise en œuvre de la parité homme — femme. Ces articles disposent que :
« Article 4 :
L’homme et la femme jouissent de façon égale de tous les droits politiques.
La femme est représentée d’une manière équitable dans toutes les fonctions nominatives et électives au sein des institutions nationales, provinciales et locales, en cela y compris les institutions d’appui à la démocratie, le conseil économique et social ainsi que les établissements publics et paraétatique à tous les niveaux.
Article 5 :
Les partis politiques tiennent compte de la parité homme-femme lors de l’établissement des listes électorales dans les conditions prévues dans la Loi électorale.
Article 6 :
L’État adopte des stratégies spécifiques afin d’assurer des possibilités égales de participation entre les femmes et les hommes à tous processus électoraux, y compris à l’administration des élections et du vote.
Il veille à ce que les hommes soient inclus dans toutes les activités concernant le genre et à la mobilisation des communautés »
Il ne s’agit que d’une litanie de vœux pieux. En outre, la loi ne contient aucune sanction contraignante au non-respect de la parité homme-femme. La seule sanction prévue à l’article 33 est l’inéligibilité des partis politiques au financement public. Or, à l’heure actuelle les partis politiques ne sont pas financés donc il n’existe dans les faits aucune sanction.
Pourtant, la loi votée par le Parlement prévoyait un quota initial de la représentation paritaire de la femme de 30 % au moins sur les listes de candidats de toutes formes d’élections et pour toutes fonctions nominatives à tous les niveaux y compris les institutions d’appui à la démocratie, le Conseil économique et social ainsi que les établissements publics et paraétatiques à tous les niveaux et elle sanctionnait le non-respect des quotas par l’irrecevabilité des listes électorales et la possibilité d’obtenir du juge administratif l’annulation des actes de nomination.
Le groupe Règles justes, Bonne application, État de droit considère que l’effectivité de la parité est illusoire sans discrimination positive, mais il considère à l’instar du juge constitutionnel qu’en l’état actuel du droit congolais la discrimination positive est inconstitutionnelle.
Pour lui, le seul moyen à la disposition du législateur d’introduire une discrimination positive en droit congolais est une révision constitutionnelle qui tendrait à compléter l’article 12 de la Constitution qui dispose que :
« tous Congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection des lois »
Il conviendrait donc d’ajouter un autre alinéa à cette disposition qui affirmerait que la loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.
Avec cet ajout, les dispositions ayant trait à la discrimination positive de la loi n° 15/013 du 1er aout 2015 écartées pour être réinsérées dans la loi sans craindre la sanction du Conseil constitutionnel lors du contrôle de constitutionnalité.
Il est certain qu’avec une telle loi, l’effectivité de la parité homme — femme en République démocratique du Congo par le biais des quotas obligatoires des femmes est assurée.
Il convient de relever que le quota des femmes est une pratique aujourd’hui généralisée dans le monde même si l’on distingue 3 différents types de quotas : le quota de candidats, les places réservées et le quota des partis politiques. Les pays qui ont déjà intégré la pratique de quotas dans leurs législations en Afrique sont l’Angola, le Burundi, l’Ouganda, le Rwanda, le Soudan sud et la Tanzanie.
La révision constitutionnelle prévue à l’article 218 de la Constitution donne la compétence de l’initiative au Président de la République, au Gouvernement après délibération en Conseil des ministres, à chacune des Chambres du parlement à l’initiative de la moitié de ses membres et à une fraction de la population, en l’occurrence 100 000 personnes, s’exprimant par une pétition adressée à l’une des deux chambres.
Le pari de l’initiative par une fraction de la population n’est pas un pari impossible. C’est un pari que les femmes congolaises peuvent gagner.
La réflexion à laquelle le groupe Règles justes, Bonne application, État de droit invite les femmes congolaises et les associations de défenses des droits de la femme congolais est celle de l’organisation de la pétition pour réunir 100 000 signatures à adresser à l’une des chambres du Parlement. Des suggestions peuvent être adressées à l’adresse mail figurant sous le titre.
La parité effective en République démocratique du Congo ne peut devenir une réalité que si les femmes se prennent en charge elles-mêmes.
Par Maître Adèle KALAMBAY NDAYA
Avocate au Barreau de la Gombe et au Barreau des Hauts de Seine
Présidente du groupe Règles justes, Bonne application, État de droit
cabavkalambay@hotmail.fr